• 3 décembre 2024

Surpassée par l’Amazonie, l’inestimable savane brésilienne est en danger

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Quand la famille de Carminha Maria Missio a acheté des terres dans le Cerrado, immense savane brésilienne au sud-est de la forêt amazonienne, elle s’est attiré des sarcasmes.

« On nous disait qu’on ne pouvait même pas espérer voir des lézards sortir de ces terres sablonneuses », raconte-t-elle à l’AFP.

C’était en 1979 et sa famille de modestes agriculteurs vendait une petite ferme dans le sud du Brésil pour partir à l’aventure à l’autre bout du pays.

Aujourd’hui, cette grand-mère fringante de 67 ans est considérée par l’édition brésilienne du magazine Forbes comme l’une des femmes les plus influentes du pays dans le secteur agricole.

Peu connu en dehors du Brésil, le Cerrado est la savane la plus riche en biodiversité de la planète.

En plus d’une variété extraordinaire de plantes et d’animaux, dont des jaguars, elle abrite les sources qui alimentent des bassins hydrographiques de tout le pays. Cela lui vaut le surnom de « berceau des eaux ».

Mais, alors que la préservation de l’Amazonie est une préoccupation mondiale, la destruction de la savane s’accélère loin des regards.

La moitié de la végétation native du Cerrado a déjà disparu: prairies et arbustes sont remplacés par des champs de soja, de céréales ou de coton à perte de vue.

Si le plus grand pays d’Amérique latine est devenu une puissance agricole de premier plan, premier exportateur mondial de soja, c’est en effet en grande partie grâce au Cerrado.

 « Écosystème sacrifié »

Au cœur de ce territoire, la commune de Sao Desiderio, dans l’Etat de Bahia (nord-est), est en tête du classement national de la déforestation cette année.

Son paysage après la saison des récoltes est un gigantesque patchwork, avec de rares taches vertes de végétation native de la savane subsistant au milieu d’immenses champs marron.

Faire pousser des céréales sur les terres sablonneuses et pauvres en nutriments est rentable si la production s’opère à grande échelle.

Financés pour la plupart par des multinationales de l’agro-alimentaire comme Cargill ou Bunge, les agriculteurs investissent massivement dans l’irrigation, les engrais et les pesticides.

Pour transformer la savane en terres arables, ils utilisent le « correntao », une grosse chaîne reliant deux bulldozers qui rase toute la végétation sur son passage.

La technique du brûlis est également employée. Une surface de la taille de la Suisse a brûlé dans le Cerrado l’an dernier, selon le collectif de recherche MapBiomas, qui regroupe des ONG et des universités.

Des experts avertissent par ailleurs que la région s’assèche en raison de la dégradation des sols et des systèmes d’irrigation.

Le Cerrado est « un écosystème sacrifié », cingle Leticia Verdi, de l’ONG de défense de l’environnement ISPN.

Le président de gauche Luiz Inacio Lula da Silva a pour l’instant tenu sa promesse de freiner la déforestation en Amazonie: elle a baissé de moitié depuis son retour au pouvoir en janvier.

Mais dans la savane, la situation s’est aggravée, avec une hausse de 27% du déboisement.

« La déforestation s’est déversée de l’Amazonie vers le Cerrado », déplore Leticia Verdi.

 « Amazonie souterraine »

Rodrigo Agostinho, président de l’agence environnementale publique Ibama, est catégorique: « Le Cerrado est aussi important que l’Amazonie dans la lutte contre la crise climatique ».

Ces deux écosystèmes sont étroitement liés.

La savane se nourrit des précipitations favorisées par la forêt tropicale, qui dépend pour sa part des sources du Cerrado pour alimenter ses cours d’eau.

Les deux jouent un rôle majeur contre les gaz à effet de serre: la forêt amazonienne grâce à ses millions d’arbres, la savane par le biais d’un système de racines très profondes qui regorgent de biomasse absorbant le CO2. D’où le surnom d' »Amazonie souterraine ».

Cet effet miroir est aussi valable à d’autres égards. En Amazonie, 95% de la déforestation est illégale. Dans le Cerrado, 95% se fait en toute légalité, selon l’Ibama.

Un paradoxe dû, selon les ONG de défense de l’environnement, à l’influence du puissant lobby de l’agronégoce.

Les agriculteurs en Amazonie n’ont le droit de déboiser que 20% de leurs terres. Dans la plupart des localités du Cerrado, c’est tout le contraire: ils doivent seulement préserver 20% de la surface occupée.

 Violence rurale

Certains grands propriétaires terriens utilisent des méthodes musclées pour contourner ces règles.

Joao da Silva en a fait les frais. Chez ce quinquagénaire (dont le nom a été changé pour raisons de sécurité), il n’y a ni électricité ni eau courante.

Mais cet homme a fait installer cinq caméras de surveillance à énergie solaire autour de sa petite ferme après que sa mère a été menacée en 2018 par des hommes armés ayant fait irruption dans sa propriété.

Il a lui-même été menacé de mort par la suite et a échappé de peu à une sortie de route quand un pick-up a percuté son véhicule.

« Ils m’ont dit que je devais quitter mes terres, qu’elles ne m’appartenaient plus », confie ce père de cinq enfants, qui avait déjà survécu à une attaque au couteau dans un marché en 2016.

Selon plusieurs ONG, des propriétaires d’immenses ranchs s’accaparent des terres non déboisées de petits fermiers du Cerrado pour les incorporer aux leurs et respecter ainsi le quota de surfaces préservées.

Des leaders de communautés d’éleveurs traditionnels de la région ont dit à l’AFP avoir été victimes d’attaques d’hommes de main qui leur ont tiré dessus, ont tué leur bétail et brûlé leurs fermes.

Une violence courante au Brésil, où ont été recensés 377 meurtres de défenseurs de l’environnement ou de victimes de conflits fonciers en milieu rural depuis 2012, selon l’ONG Global Witness.

 Education durable

Mario Alberto dos Santos, professeur à l’Université fédérale de l’Ouest de Bahia, tente de changer la donne par l’éducation, en donnant des cours d’agriculture durable à des jeunes de localités reculées du Cerrado.

Il leur apprend à faire pousser des espèces natives, en privilégiant la culture bio et en plantant des arbres au milieu des plantations.

« Nous avons un long chemin à parcourir », admet-il, préconisant de « transformer en profondeur » le système mondial de production, très largement fondé sur des « monocultures qui utilisent des pesticides et ne sont pas compatibles avec la préservation de l’environnement ».

Le Parlement européen a adopté en avril un règlement qui interdit l’importation de plusieurs produits agricoles lorsqu’ils sont issus de la déforestation.

Mais la savane brésilienne n’est pas concernée: sa végétation native n’est pas considérée à proprement parler comme une « forêt ».

Des mouvements écologistes font pression sur l’Union européenne pour étendre cette règle à d' »autres zones boisées », comme le Cerrado.

Pour Daniel Santos, de l’antenne brésilienne du Fonds mondial pour la nature (WWF), pas de doute: inclure ces trois mots dans le texte permettrait de « favoriser la transition vers une production plus durable ». (AFP)

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