Non seulement les deux voisins ibériques partagent la plus vieille frontière européenne, mais ils peuvent se targuer, malgré les actuelles convulsions, d’entretenir généralement d’excellentes relations bilatérales. Ces jours-ci, pourtant, un conflit nucléaire d’envergure les oppose violemment.
Du fait de «l’absence de concertation et de consensus» avec le chef de l’exécutif, Mariano Rajoy, le gouvernement portugais vient de déposer une plainte auprès de la justice communautaire et de Bruxelles, accusant Madrid de «viol de la législation européenne et de rupture de loyauté entre deux Etats-membres».
Parallèlement, l’ensemble de l’«Assemblée de la République» (le Parlement national, à Lisbonne) a condamné à l’unanimité les agissements de Madrid, accusé de «poursuivre une politique nucléaire dangereuse et irresponsable»
En jeu, la centrale nucléaire d’Almaraz, en Estrémadure, à seulement une centaine de kilomètres de la frontière portugaise.
Du côté de Lisbonne, tous gouvernements confondus, on n’a jamais apprécié l’existence de cette centrale si proche, la plus puissante de l’arsenal espagnol avec ses deux réacteurs qui à eux seuls produisent 26% de l’énergie nucléaire du pays (qui, elle-même, pèse 20% de la production énergétique globale).
Le nœud du conflit : les autorités à Madrid ont approuvé la construction d’un site de stockage de résidus nucléaires à Almaraz, projet confirmé par le récent feu vert du ministère de l’Environnement.
Ce site aura une superficie de 2 600 mètres carrés et ne devrait héberger les déchets de la centrale que «de manière temporaire».
Mais, pour Lisbonne, la coupe est pleine, arguant qu’en vertu de la législation européenne, toute décision liée à une affaire bilatérale ne peut être prise qu’après consultation des deux parties. Or, dans ce cas, le Portugal n’a pas été consulté.
Le sujet de fond, en réalité, porte moins sur ce lieu de stockage de déchets que sur la durée de vie des réacteurs. L’exécutif conservateur espagnol est en effet déterminé à prolonger l’existence de ses cinq centrales, la plupart installées dans les années 80.
Dans le cas d’Almaraz, qui date de 1983, son exploitation doit expirer en 2020. Or, l’administration Rajoy vient d’engager les procédures pour que ce délai soit largement élargi, afin que la centrale puisse souffler ses 50, voire ses 60 bougies, sur le modèle des centrales aux Etats-Unis.
En Espagne, la polémique se porte tout autant sur Garoña, dans la province de Burgos, la centrale la plus ancienne, qui a déjà fonctionné pendant quarante ans et avait fermé en 2012. Début février, le gouvernement a reçu l’autorisation du Conseil de sécurité nucléaire, le CSN, pour rouvrir ses portes.
Réunissant trois formations (socialistes, Podemos et Ciudadanos), avec l’appui de toutes les organisations écologistes, un front du refus s’est constitué, estimant que le CSN n’a pas «réalisé les investissements nécessaires». L’estimation du CSN s’élève à 150 millions d’euros.
«En réalité, ce serait une authentique folie de réactiver Garoña, qui n’offre aucune garantie suffisante, enrage Francisco Castejón, de Ecologistas en Acción. L’enjeu est important : si cette centrale rouvre, la voie est ouverte pour la prolongation de tous les réacteurs jusqu’à soixante ans d’existence. Voilà pourquoi c’est maintenant qu’il faut barrer la route à cette irresponsabilité.»
Du côté de Greenpeace, comme pour les partis de l’opposition, on voit une stratégie derrière la construction d’un site de déchets à Almaraz, née douze ans après Garoña : «Si ce projet voit le jour, souligne Raquel Monton, cela sera une façon de nous mettre devant le fait accompli que la centrale ne sera pas fermée avant belle lurette. (s.Libe)